Désapprendre pour mieux comprendre et agir plus juste
A la manifestation du 14 juin, j’étais avec mon masque, je portais dans mes bras mon fils métisse et je chantais des slogans féministes. Devant moi, il y avait une femme qui brandissait un panneau qui disait : « convergence des luttes ». Je me suis dit : « c’est exactement ça. »
L’ère incroyablement mouvementée que nous vivons nous amène à cette conclusion : le climat, le racisme, la communauté LGBTQ, les réfugiés, les femmes, etc. Toutes ces luttes mènent à la même source : la révérence pour le vivant (ou plutôt le manque de révérence pour le vivant).
La révérence, c’est le respect profond.
Si nous avions de la révérence pour le vivant nous prendrions soin de la nature, des animaux et de tous les êtres humains – peu importe leur couleur, nationalité, religion, sexualité, genre. Pour ressentir la révérence, il faut être connecté.e à soi, à ses besoins, à ses aspirations, à ses émotions, à sa conscience, à son cœur.
Jusqu’il y a quelques semaines, je pensais que c’était ça la clé et peut-être même (naïvement) la réponse à tous les problèmes du monde. Une solution bien sûr, mais pas une petite solution vite mise en pratique et hop, tout va mieux. Pour se reconnecter à soi et puiser dans la révérence, il y a tout un travail d’introspection, de guérison de nos blessures et d’évolution personnelle à entreprendre. Et ça, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Je dirais même que c’est la mission d’une vie.
Mais il y a quelques semaines, après avoir regardé les 8 minutes et 46 secondes qu’a duré l’assassinat de George Floyd et de m’être informée – de m’être forcée à affronter des vérités qui sont intolérables, qui empêchent de dormir, qui donnent envie de fuir son corps – j’ai réalisé que la connexion à soi et la révérence étaient primordiales, mais ne suffisaient pas. Surtout au vu de tout ce qui se passe actuellement.
La révérence pour le vivant ne suffit pas…
La révérence ne suffit pas parce qu’il y a une passivité dans la révérence, il y a une suffisance. C’est comme si je me mets en état de respect profond et, du coup, j’ai fait mon taf. Les autres n’ont qu’à en faire de même et finalement se débrouiller tout seuls. Cela reflète le privilège d’être blanche, de vivre en Suisse dans un pays qui ne fait pas trop de tords donc qui ne requiert pas mon implication.
J’ai réalisé que la neutralité était un privilège qu’on se permet d’avoir pour ne pas causer de vagues, pour ne pas s’impliquer, pour rester dans notre bulle.
Quand j’ai regardé la vidéo de George Floyd et que je l’ai entendu appeler sa mère dans son agonie, j’ai bien sûr pensé à mon fils. Ma première réaction a été de me dire « heureusement qu’on est en Suisse et que ce n’est pas comme ça ici. » Et comme si mon conjoint avait lu mes pensées, il a dit : « Le racisme est tout aussi présent ici. Il est juste différent. Il se manifeste différemment en fonction de la culture. »
Et c’est vrai. Aux États-Unis, où la violence est omniprésente, où tout va plus vite, plus fort et tout est plus grand, le racisme est violent, omniprésent, fort. En Suisse, il est sournois, insidieux. Mais il est là, ne nous voilons pas la face. Alors que cela fait des années que je ne me suis pas fait arrêter par la police en voiture, mon conjoint s’est fait arrêter pour des contrôles d’identité des dizaines de fois. Ne nous voilons pas la face. Mon amie, qui est super qualifiée, a finalement pris un job au-dessous de ses compétences parce qu’aux entretiens d’embauche, elle ne passait jamais. Elle a finalement eu un job et après analyse, elle a réalisé qu’une des personnes qui l’avait embauchée était la maman d’un enfant métisse. On engage qui on connaît. On engage qui nous ressemble.
Après ces quelques jours d’incubation de toutes les nouvelles et de toutes les informations que je suis allée regarder, lire et discuter avec des personnes concernées, je suis toujours en phase d’intégration. Je dois d’abord désapprendre. J’ai tellement d’idées préconçues, de biais inconscients et finalement de préjugés. Merde alors. Moi qui me pensais au-dessus de tout ça, avec un mari noir et un enfant métisse.
Alors voilà ma conclusion avec encore finalement peu de recul sur 2 mois de semi-confinement et 2 semaines de rébellion aux États-Unis et à travers le monde : la révérence ne suffit pas quand des gens sont assassinés, quand des gens sont systématiquement rabaissés et maintenus dans la pauvreté, quand des millions de personnes doivent fuir leur pays, quand la planète est à risque. (Et j’en passe…)
Il faut agir et il faut désapprendre
Il faut agir en s’informant un maximum sur les causes actuelles et il faut désapprendre. Lorsqu’on prend conscience de certaines problématiques, on prend aussi conscience de notre relation à ces problématiques et on peut commencer à changer nos comportements.
Sans information – sans la curiosité d’aller à la rencontrer de ces informations – on prend le risque de s’asseoir sur nos privilèges de blancs vivant dans un pays en paix, neutre et riche. De penser que notre paix, notre neutralité et notre succès sont uniquement le fruit de nos efforts, de notre bonne éducation et de notre bonne nature.
Et peut-être qu’avec la curiosité et l’ouverture nécessaires pour nous remettre en question et désapprendre ce que nous pensions vrai et juste, nous pourrons aller à la rencontre de l’autre et poser des actes plus justes. Ouvrir plus d’emplois à des personnes d’autres horizons. Partager les places autour des tables où les décisions sont prises – pas à une personne mais à plusieurs personnes ne répondant pas au profil habituel. Prendre des décisions avec le cœur en plus de la tête pour s’assurer que le profit ne vient pas au détriment des pays du Sud, de l’environnement, des femmes, des personnes de couleur, des gays, des générations futures, etc.
Et maintenant c’est le bon moment pour partir en quête d’information et de notre désapprentissage personnel.
Le mouvement est lancé ou plutôt les mouvements sont lancés.
Si nous nous y mettons toutes et tous, nous développerons une masse critique qui fera bouger les choses. Savez-vous que selon les études rassemblées par Malcom Gladwell dans son livre le Tipping Point, la masse critique qu’il faut pour faire pencher la balance se situe autour des 20% ? Alors go. On va faire le poids.
Look for ways that you are racist, rather than ways to prove you’re not. There are two key ideas here. First, you can’t change behaviors you’re not aware of, and if you’re constantly trying to assure yourself you’re not racist, you’re going to miss the ways you are. Second, once you’ve accepted that you are, in fact, racist some of the time, it’s a lot easier to drop the barrier of good intentions, let go of the defensiveness and take responsibility for your actions.
– Rachel E. Cargle
Quelques pistes pour commencer à désapprendre :
- Si vous êtes sur Instagram, suivez #sharethemicnow – 50 personnalités blanches ont cédé leur compte Instagram à 50 personnalités noires pour qu’elles puissent parler de leur message à une audience plus large. Le résultat est phénoménal. La richesse des témoignages est poignante.
- Téléchargez le white paper de Rachel E. Cargle (en anglais) intitulé « Dear White Women ». Il pique un peu, mais l’inconfort fait partie du processus de désapprentissage.
- Parlez ou plutôt poser des questions et écoutez les réponses des personnes concernées par le racisme.
- Suivez Trevor Noah sur Facebook. A travers l’humour, il explique très bien ce qui se passe dans l’actualité.
- Et s’il vous plait, si vous le faites, arrêtez immédiatement de parler des têtes de chocos de la Migros.
- Regardez cette petite vidéo (en anglais) qui explique de manière ironiquement ludique et claire le racisme systémique.
- Lisez des articles sur le privilège blanc, sur comment devenir un.e anti-raciste, sur le mouvement Black Lives Matter.
- Informez-vous sur les biais inconscients ou implicites (unconscious bias ou implicit bias en anglais) pour comprendre qu’on a plein d’angles morts et qu’ils viennent ternir nos bonnes intentions.
- Partagez dans les commentaires ci-dessous des ressources qui vous ont été utiles !
Merci Patricia pour cette analyse pointue et posée de manière brillante, simple et accessible. Dans la quantité de ressource disponibles sur les différents sujets et la convergence des luttes, deux me viennent à l’esprit:
En premier lieu la “Lettre adressée à mes amis blancs qui ne voient pas où est le problème…” de Virginie Despantes:
https://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-04-juin-2020?fbclid=IwAR1-Uf-GF-zferABW7q5yFhJ_RnZ_QQBlNNkdcaiV1yLvyOjgiE3REhFAs0
En deuxième lieu les revendications du mouvement Extinction Rebellion:
https://xrebellion.ch/fr/
https://rebellion.earth/
A bientôt
Merci Gaby pour ton message et les ressources supplémentaires!
Hello Patricia,
Très bon article avec des références intéressantes et instructives.
J’aimerai partager 3 liens en relation avec le thème du racisme :
1. L’expérience d’une jeune fille, Jacqueline Chelliah, en Suisse : “Comme George Floyd, j’ai peur tous les jours… en Suisse” (https://www.heidi.news/articles/comme-george-floyd-j-ai-peur-tous-les-jours-en-suisse-et-pourtant-ma-vie-n-a-rien-a-voir-avec-la-sienne) et les réactions à son article, comme quoi un texte peut faire un petit peu évoluer les choses… encore faut-il que cela dure dans le temps (https://www.heidi.news/articles/vous-nous-avez-ouvert-les-yeux-les-reactions-a-mon-temoignage-sur-le-racisme-en-suisse).
2. Le texte d’un artiste musicien canadien Grégory Charles, qui met en perspective les paroles de son père (années 50-60) avec ce qui se passe actuellement (https://www.mondedestars.net/nouvelles/gregory-charles-publie-le-message-le-plus-fort-qu-on-a-lu-suite-au-deces-de-george-floyd)
3. Et un point de vue historique par Pascal Blanchard, historien spécialiste de la période coloniale (https://www.tf1.fr/tmc/quotidien-avec-yann-barthes/videos/invite-on-parle-racisme-et-histoire-coloniale-avec-lhistorien-pascal-blanchard-46394725.html)
Restons positifs, espérons que toute cette prise de conscience ne soit pas qu’un feu de paille et surtout agissons pour un monde plus égalitaire et respectueux. Cela ne va pas se faire sans mal, car il faut de profonds changements dans la société.
Merci Stéph! Comme dit Tony Robbins, les changements sont automatiques. Le progrès par contre requiert notre implication individuelle et collective. Merci pour les ressources supplémentaires!
Merci beaucoup Patricia pour cet article précis et pour tes pistes de réflexions.
“Désapprendre pour changer de comportement”: je suis bien d’accord avec toi. Désapprendre pour construire un future qui fasse du sens.
J’écoutais un podcast ce matin qui disait que 60% des étudiants de l’université de Lausanne n’auront pas de petits boulots cet été. Quid de “comment vont-ils payer leurs études l’année prochaine”?
Les enfants et les jeunes d’aujourd’hui sont ceux qui vont construire le monde de demain. Ont le sait. Merci de partager la photo de ton fils qui me le rappelle une fois de plus.
Quel monde allons-nous leur laisser?
Nous somme dans une nouvelle ère: celle de l’entraide et de la collaboration. Sauf que pour s’entraider et collaborer dans l’intelligence et l’énergie du coeur, il faut, comme tu le dis, avoir fait un travail sur soi au préalable. Beaucoup sont encore dans l’égo qui ne veut que le profit. Méditer permet d’ouvrir son coeur pour lâcher l’égo et ouvrir sa conscience à l’autre.
Ma passion est d’accompagner ceux qui souhaitent avancer, changer et évoluer pour créer un quotidien qui fasse du sens et un monde de demain qui respectera TOUTES les différences!
J’ai foi en l’humanité et en l’inconscient collectif. Avec des personnes comme toi, le monde avance. Les petits pas… Merci d’être là et de partager.
Wouah! Put… Patricia, merci du fond du coeur pour ton article, ton partage et tes cris!
Je ne peux pas regarder tout ça et pourtant, il va bien falloir. J’en suis au stade de la colère, du dégoût, de la consternation. Je me demande quel est mon propre comportement de femme blanche suisse et bien proprette sur moi, à priori, je me demande si je fais une différence, même inconsciente…
L’intolérance, peu importe la victime, me glace, me remue le ventre, me donne envie de gerber. Je ne peux pas regarder, je me sens impuissante… et en même temps, je m’investis peut-être pas autant que je le devrais…
Je ne comprends pas que nous en soyons toujours là, en 2020.
Et pourtant, à l’échelle de l’humanité, nous avons tellement avancé ces 50-100 dernières années…
Quels que soient notre foi, notre couleur, notre genre, nous sommes toutes et tous hantés par des maltraitances transgénérationnelles et karmiques. Je porte en moi “le poids “d’une grand-mère juive, même si nous n’en avons jamais parlé. Parce qu’il y a des choses qu’il faut taire.
C’est intolérable qu’aujourd’hui, des personnes, moi certainement aussi, agissent consciemment ou inconsciemment de manière à dégrader la planète, nos frères et soeurs de sang, de coeur, d’âme, etc.
Commençons comme tu le dis à désapprendre. Nous avons la faculté de créer de nouveaux schémas grâce à la neuroplasticité. 1. il suffit de vouloir et 2. de nettoyer le vieux qui nous plombe 3. installer de nouveaux schémas.
Merci du fond du coeur de montrer la voie par ta voix!
Merci Patricia pour ce texte mouvant.
J’ai participé dans une série de rencontres virtuelles (MIT; http://www.presencing.org/gaia) questionnant notre situation personnelle, sociale et globale.
Otto Scharmer tente de transformer la société, les business et toute nos relations en proposant de prendre un moment pour vraiment percevoir, ressentir et puis poser les actes nécessaires à partir de notre centre. Il propose des parties de théorie, de témoignages et des échanges.
Aujourd’hui nous avons aussi parlé du racisme et je me suis rappelée la remarque de mon garagiste: ici en Suisse, si tu as un nom de famille qui se termine en -ic ou une consonance des pays de l’Est, tu ne trouves même pas une place d’apprentissage. Ma voisine est Canadienne et son mari vient d’un pays arabe. C’est elle qui a cherché un appartement. Mêmes observations pour l’AI etc. Le racisme ne dépend pas uniquement de la couleur de la peau. Toute différence culturelle peut créer de la méfiance et du manque de respect. Avoir un regard “pure” demande de se sentir en paix avec soi-même, ce qui nous ramène aux autres sujets de tes articles.