Désapprendre pour mieux comprendre et agir plus juste

PatriciaBy Patricia16 juin 202011 Minutes

A la manifestation du 14 juin, j’étais avec mon masque, je portais dans mes bras mon fils métisse et je chantais des slogans féministes. Devant moi, il y avait une femme qui brandissait un panneau qui disait : « convergence des luttes ». Je me suis dit : « c’est exactement ça. »

L’ère incroyablement mouvementée que nous vivons nous amène à cette conclusion : le climat,  le racisme, la communauté LGBTQ, les réfugiés, les femmes, etc. Toutes ces luttes mènent à la même source : la révérence pour le vivant (ou plutôt le manque de révérence pour le vivant).

La révérence, c’est le respect profond.

Si nous avions de la révérence pour le vivant nous prendrions soin de la nature, des animaux et de tous les êtres humains – peu importe leur couleur, nationalité, religion, sexualité, genre. Pour ressentir la révérence, il faut être connecté.e à soi, à ses besoins, à ses aspirations, à ses émotions, à sa conscience, à son cœur.

Jusqu’il y a quelques semaines, je pensais que c’était ça la clé et peut-être même (naïvement) la réponse à tous les problèmes du monde. Une solution bien sûr, mais pas une petite solution vite mise en pratique et hop, tout va mieux. Pour se reconnecter à soi et puiser dans la révérence, il y a tout un travail d’introspection, de guérison de nos blessures et d’évolution personnelle à entreprendre. Et ça, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Je dirais même que c’est la mission d’une vie.

Mais il y a quelques semaines, après avoir regardé les 8 minutes et 46 secondes qu’a duré l’assassinat de George Floyd et de m’être informée – de m’être forcée à affronter des vérités qui sont intolérables, qui empêchent de dormir, qui donnent envie de fuir son corps – j’ai réalisé que la connexion à soi et la révérence étaient primordiales, mais ne suffisaient pas. Surtout au vu de tout ce qui se passe actuellement.

La révérence pour le vivant ne suffit pas…

La révérence ne suffit pas parce qu’il y a une passivité dans la révérence, il y a une suffisance. C’est comme si je me mets en état de respect profond et, du coup, j’ai fait mon taf. Les autres n’ont qu’à en faire de même et finalement se débrouiller tout seuls. Cela reflète le privilège d’être blanche, de vivre en Suisse dans un pays qui ne fait pas trop de tords donc qui ne requiert pas mon implication.

J’ai réalisé que la neutralité était un privilège qu’on se permet d’avoir pour ne pas causer de vagues, pour ne pas s’impliquer, pour rester dans notre bulle.

Quand j’ai regardé la vidéo de George Floyd et que je l’ai entendu appeler sa mère dans son agonie, j’ai bien sûr pensé à mon fils. Ma première réaction a été de me dire « heureusement qu’on est en Suisse et que ce n’est pas comme ça ici. » Et comme si mon conjoint avait lu mes pensées, il a dit : « Le racisme est tout aussi présent ici. Il est juste différent. Il se manifeste différemment en fonction de la culture. »

Et c’est vrai. Aux États-Unis, où la violence est omniprésente, où tout va plus vite, plus fort et tout est plus grand, le racisme est violent, omniprésent, fort. En Suisse, il est sournois, insidieux. Mais il est là, ne nous voilons pas la face. Alors que cela fait des années que je ne me suis pas fait arrêter par la police en voiture, mon conjoint s’est fait arrêter pour des contrôles d’identité des dizaines de fois. Ne nous voilons pas la face. Mon amie, qui est super qualifiée, a finalement pris un job au-dessous de ses compétences parce qu’aux entretiens d’embauche, elle ne passait jamais. Elle a finalement eu un job et après analyse, elle a réalisé qu’une des personnes qui l’avait embauchée était la maman d’un enfant métisse. On engage qui on connaît. On engage qui nous ressemble.

Après ces quelques jours d’incubation de toutes les nouvelles et de toutes les informations que je suis allée regarder, lire et discuter avec des personnes concernées, je suis toujours en phase d’intégration. Je dois d’abord désapprendre. J’ai tellement d’idées préconçues, de biais inconscients et finalement de préjugés. Merde alors. Moi qui me pensais au-dessus de tout ça, avec un mari noir et un enfant métisse.

Alors voilà ma conclusion avec encore finalement peu de recul sur 2 mois de semi-confinement et 2 semaines de rébellion aux États-Unis et à travers le monde : la révérence ne suffit pas quand des gens sont assassinés, quand des gens sont systématiquement rabaissés et maintenus dans la pauvreté, quand des millions de personnes doivent fuir leur pays, quand la planète est à risque. (Et j’en passe…)

Il faut agir et il faut désapprendre

Il faut agir en s’informant un maximum sur les causes actuelles et il faut désapprendre. Lorsqu’on prend conscience de certaines problématiques, on prend aussi conscience de notre relation à ces problématiques et on peut commencer à changer nos comportements.

Sans information – sans la curiosité d’aller à la rencontrer de ces informations – on prend le risque de s’asseoir sur nos privilèges de blancs vivant dans un pays en paix, neutre et riche. De penser que notre paix, notre neutralité et notre succès sont uniquement le fruit de nos efforts, de notre bonne éducation et de notre bonne nature.

Et peut-être qu’avec la curiosité et l’ouverture nécessaires pour nous remettre en question et désapprendre ce que nous pensions vrai et juste, nous pourrons aller à la rencontre de l’autre et poser des actes plus justes. Ouvrir plus d’emplois à des personnes d’autres horizons. Partager les places autour des tables où les décisions sont prises – pas à une personne mais à plusieurs personnes ne répondant pas au profil habituel. Prendre des décisions avec le cœur en plus de la tête pour s’assurer que le profit ne vient pas au détriment des pays du Sud, de l’environnement, des femmes, des personnes de couleur, des gays, des générations futures, etc.

Et maintenant c’est le bon moment pour partir en quête d’information et de notre désapprentissage personnel.

Le mouvement est lancé ou plutôt les mouvements sont lancés.

Si nous nous y mettons toutes et tous, nous développerons une masse critique qui fera bouger les choses. Savez-vous que selon les études rassemblées par Malcom Gladwell dans son livre le Tipping Point, la masse critique qu’il faut pour faire pencher la balance se situe autour des 20% ? Alors go. On va faire le poids.

 

Look for ways that you are racist, rather than ways to prove you’re not. There are two key ideas here. First, you can’t change behaviors you’re not aware of, and if you’re constantly trying to assure yourself you’re not racist, you’re going to miss the ways you are. Second, once you’ve accepted that you are, in fact, racist some of the time, it’s a lot easier to drop the barrier of good intentions, let go of the defensiveness and take responsibility for your actions.
–       Rachel E. Cargle

 

Quelques pistes pour commencer à désapprendre :

  • Si vous êtes sur Instagram, suivez #sharethemicnow – 50 personnalités blanches ont cédé leur compte Instagram à 50 personnalités noires pour qu’elles puissent parler de leur message à une audience plus large. Le résultat est phénoménal. La richesse des témoignages est poignante.
  • Téléchargez le white paper de Rachel E. Cargle (en anglais) intitulé « Dear White Women ». Il pique un peu, mais l’inconfort fait partie du processus de désapprentissage.
  • Parlez ou plutôt poser des questions et écoutez les réponses des personnes concernées par le racisme.
  • Suivez Trevor Noah sur Facebook. A travers l’humour, il explique très bien ce qui se passe dans l’actualité.
  • Et s’il vous plait, si vous le faites, arrêtez immédiatement de parler des têtes de chocos de la Migros.
  • Regardez cette petite vidéo (en anglais) qui explique de manière ironiquement ludique et claire le racisme systémique.
  • Lisez des articles sur le privilège blanc, sur comment devenir un.e anti-raciste, sur le mouvement Black Lives Matter.
  • Informez-vous sur les biais inconscients ou implicites (unconscious bias ou implicit bias en anglais) pour comprendre qu’on a plein d’angles morts et qu’ils viennent ternir nos bonnes intentions.
  • Partagez dans les commentaires ci-dessous des ressources qui vous ont été utiles !

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